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 » Fruits et Légumes  » de Antony Palou , édition Albin Michel

fruits et legumes de palou

Fils et petit-fils de « primeurs », Anthony Palou restitue en une série de séquences drôles et tendres le climat de son enfance quimpéroise dans les années 1970.
Retour sur les riches heures du petit commerce de détail fruits et légumes et sur son laminage par la grande distribution.
Harcelé par les huissiers, le père du narrateur s’effondre… Entre chronique intimiste et croquis d’une époque révolue, le deuxième roman de l’auteur de « Camille » (prix Décembre 2000) confirme un talent subtil fait de pudeur et d’émotion …

Voici la chronique du livre  » Fruits et légumes  » de Bernard Pivot :

 » …  Toute ma vie, il y eut un décalage horaire entre papa et moi. » Et Anthony Palou ajoute: « Mon père était “primeurs”. » Le mien aussi. L’été, il se levait à 3 heures, 3 heures et demie, pour aller acheter fruits et légumes au marché de gros; l’hiver, à 4 heures. Toute l’année, il faisait la sieste. Il se couchait tôt chaque soir. Nous ne vivions pas dans la même utilisation du temps que lui. Entre nous, il existait, sauf pendant les vacances, « un décalage horaire« . C’est Anthony Palou qui a trouvé la formule. Elle est juste. Elle ouvre son roman intitulé justement Fruits & légumes. Comment n’aurais-je pas lu un livre qui me touchait de si près? Mais est-ce bien un roman? J’en doute. Je ne connais pas l’auteur. Trop de détails sur le commerce des produits de saison me laissent croire qu’il connaît bien le métier et que son père, ou un autre membre de sa famille, l’a exercé. A Quimper. … « 

 » … Le grand-père est un Espagnol de Majorque, qui avait fui la guerre civile, en 1936. Un an après, il épousa une Bretonne du Finistère-Nord. Dans quel sabir leurs déclarations d’amour? Le curé venait d’enregistrer le « si » de l’un et le « ya, euh, oui » de l’autre et se précipitait pour administrer à domicile un autre sacrement, quand il se fit écraser par un camion. Plutôt de mauvais augure? Eh bien, non. Certes, les débuts ont été difficiles. La charrette à bras transportait les légumes que le grand-père faisait pousser lui-même. La clientèle boudait. Jusqu’à ce qu’elle se précipitât pour acquérir chez Antonio Coll l’authentique sope mallorquine dont Anthony Palou donne la recette. Ce n’était pas le début de la fortune mais de l’aisance. Preuve en est qu’il put bientôt louer un pas-de-porte aux halles de Quimper, où, plus que tout autre, il avait des raisons de vendre des agrumes d’Espagne.

La première partie du livre raconte une ascension sociale grâce aux fruits et légumes puisque Antonio Coll, mort à 83 ans, « parti par la prostate« , avait acquis trois maisons: une à Quimper, une autre au Cap-Coz, et une troisième à Puerto de Soler, où il prit sa retraite de Majorquin. La seconde partie, au contraire, raconte une déconfiture, la faillite du père, lui aussi « primeurs« , mais sans avoir jamais eu la vocation. Une dynastie Coll aux halles de Quimper, ça en jetait. Sauf que les halles allaient brûler et que le métier, à partir des années 1960, avec l’implantation des supermarchés, ne serait plus jamais ce qu’il était. Mon père a perçu tout de suite le danger. « L’épicerie, c’est fichu« , disait-il. Il a vendu la sienne pour passer de l’autre côté, chez les maraîchers groupés en coopératives.

Le père du narrateur, lui, s’est accroché. Il gagnait de moins en moins d’argent et en perdait de plus en plus dans les courses de chevaux. Toute la famille regardait Dallas. J.R. déclarait au téléphone: « Une fois que tu as réussi à te débarrasser de ton honnêteté, le reste, c’est du gâteau. » Le père, en décalage horaire, n’écoutait pas. Sa femme, si. « Ma mère considérait l’aîné des Ewing comme un vrai salaud, mais elle devait admirer sous cape le culot, l’assurance, le cynisme, l’aplomb, voire le génie de cette ordure magistrale. » Avec sa maigre paye d’employée à la préfecture, la mère ne parviendra pas à éviter la saisie des balances et du frigo dans le magasin, des meubles, des fauteuils, de la pendule, dans la maison. Au secours, J.R.! Anthony Palou a écrit la chronique douce-amère d’une famille de petits commerçants. C’est drôle, parce qu’il a de l’humour ; c’est mélancolique, parce que la sope mallorquine se termine en soupe à la grimace ; c’est un peu court, l’écrivain étant prié de prendre cela pour un compliment. Le narrateur épouse son amie d’enfance. Ils ne font pas « primeurs« … «